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30 octobre 2017 | י חשון התשעח
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Revoir Tanger ou la nostalgie de la Ville Blanche séfarade

17_1En pleine tourmente car amoureuse d’un prince romain, l’héroïne de « Revoir Tanger », Edith, jeune Tangéroise descendante d’une lignée de rabbins, se trouve en Espagne face aux côtes marocaines. Pour trouver les réponses aux questions qu’elle se pose sur son destin, elle retournera dans sa ville natale qu’elle a fui dix ans auparavant. Publié aux Editions de la Grande Ourse, Ralph Toledano aborde dans son dernier ouvrage ce Maroc séfarade avant sa quasi-totale disparition. Sans être tout à fait la suite de son premier roman qu’il a présenté à la Foire du Livre de Jérusalem en février dernier, l’auteur d' »Un Prince à Casablanca » y puise des éléments communs. Il évoque son livre dans un entretien avec IsraPresse.

Comme dans son roman précédent, l’auteur décrit plusieurs réalités des juifs du Maroc, celle de ceux qui ont dû fuir en Israël, qui ont quitté leur pays natal pour l’Espagne, ou qui sont, malgré tout, restés. Il semble clair que, pour le natif de Paris, il est important de placer la petite histoire dans le contexte de la grande Histoire. En effet, pour lui, « la grande Histoire est la somme maladroite, théorique et conventionnelle de tous les épisodes intimes, personnels, animés de souffrances, d’espoirs, de craintes et de joies que les esprits positivistes ont convenu de nommer avec une nuance de mépris la petite histoire. La prétendue grande Histoire est une invention des esprits rationnels qui veulent résoudre la fluidité du temps et des évènements à une équation ».

Mais la grande Histoire est indispensable, elle raconte les évènements majeurs qui ont provoqué les changements capitaux dans les petites histoires de chacun. Aussi, c’est au moment de la Guerre des Six jours que l’héroïne doit quitter brutalement le Maroc car impliquée dans un mouvement sioniste. Ralph Toledano se souvient: « Le Maroc de 1967 était un pays qui s’acheminait sans se presser vers une identité arabe. L’atmosphère de la rue était encore très coloniale. Nous allions tous les mois écouter les acteurs de la Comédie Française au Théâtre Municipal de Casablanca. Une autre fois par mois, les Jeunesses Musicales de France nous régalaient de leurs concerts. Le durcissement momentané de la gauche de tendance nassérienne nous a effrayés quelques semaines au printemps de 1967. Nous étions aussi terrorisés par la fragilité d’Israël. Après la débâcle arabe, tout est redevenu comme avant. Peut-être mieux, car les musulmans cheminaient en regardant le sol. C’est l’attentat manqué de Skhirat [contre le roi Hassan II en 1971] qui a fait chavirer définitivement notre perception de notre séjour dans le royaume. »

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La côte de Tanger vue d’Espagne. Crédit photo: Gaspar Serrano

Dix ans plus tard alors qu’elle est amoureuse de Tullio, prince romain et que cet amour pèse lourd dans son identité de juive marocaine, Edith - que Ralph Toledano qualifie de Bérénice au vu de son amour inconciliable pour son Titus-Tullio chrétien - s’en va chercher la clé de son destin en retrouvant Tanger.

Tanger est alors dans « un état d’immobilité sociale et économique étonnants ». L’univers séfarade était intact dans sa langue, ses mœurs et ses usages, les synagogues ancestrales étaient encore entretenues, les institutions communautaires fonctionnaient alors que les jeunes s’en allaient pour ne plus revenir. « J’allais tous les matins d’été à l’Asile de vieillards m’entretenir avec des pauvres assistés, je leur posais des questions, ils me racontaient leur vie », révèle l’écrivain. La description des visiteurs de Tita, tante d’Edith dans le roman, doit beaucoup à ces visites et à ces conversations. « J’ai mis en pot, comme les confitures de fruits d’été, un message ancestral que j’ai tenté de restituer à travers Macnin la cuisinière, Perla l’habilleuse, le noble Bendahan, tous ces laissés pour compte imbibés d’amour, d’espoir indestructible dans l’éternité de la vie mais de résignation personnelle dans l’échec de leur destin », confie-t-il.

Au final, il s’avère que Tita, la tante d’Edith, est le héros caché du roman et l’écrivain le reconnaît aisément: « Cette femme a parcouru l’existence dans un mélange de passion, de vanité, de lucidité, de frustrations apparentes et de sublimations exaltantes. Elle a su vivre l’engagement, la responsabilité et la générosité qui anoblissent l’homme. » Plus encore, son héritage mystique s’est conjugué à l’expérience d’une vie qu’elle a parcourue sans mensonges, sans hypocrisies, sans se voiler la face devant les incohérences du destin, « car c’est en les affrontant courageusement que l’on recevra la grâce de comprendre, d’atteindre et de transmettre la paix ».

Par ailleurs, l’auteur dépeint de façon remarquable la culture judéo-espagnole de Tanger. Sa plume raffinée passe tout en finesse sur le langage, la cuisine, la musique, les cérémonies qui faisaient alors Tanger. Et il semblerait que c’est cela le véritable sujet du roman – « le monde séfarade avant qu’il ne se volatilise » - et que l’histoire d’amour entre Edith et Tullio est un prétexte à l’évocation d’un univers qui dépasse l’individu. « J’ai essayé de décrire [le monde séfarade] sans nostalgie inutile, sans embellissements superflus », confirme l’auteur. « J’ai cherché dans le monde d’hier les germes de vie, d’amour, d’espoir, de foi qui pourraient embellir le futur, si nous savons les replanter et les irriguer de notre courage ».

Son livre à venir est la suite de « Revoir Tanger » et s’appellera « Le Retour du Phénix ». Edith y retrouvera les enfants de Semtob, rencontrés dans le « Prince à Casablanca ». Si l’auteur livre peu de détails sur ce prochain roman, il confie volontiers qu’il s’agit d' »un chant d’amour à l’éternité de Sion et à sa beauté immatérielle ».

Nelly Ben Israël