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30 octobre 2017 | י חשון התשעח
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Mnoukhine, un univers d’émotions fugaces aux teintes délicates

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Les dernières œuvres de Mnoukhine sont exposées à la galerie Yaïr, 6 rue Gabirol à Tel Aviv, jusqu’au 16 octobre.

De la « jeune peinture française » à Bnei Brak, le parcours de Moshé Mnoukhine ne laisse pas indifférent. Ce descendant d’immigrés d’origine russe arrivés en France dans les années 30, a exposé au Grand Palais aux côtés de Bernard Morteyrol et d’artistes contestataires, participant notamment à la composition d’une fresque au nom révélateur « Naissance, vie et mort d’un prolétaire ». Né en 1949, cet ancien élève des Beaux-Arts refuse de contrefaire les styles ou de surfer sur les modes.

Arrivé en Israël en 1972, Mnoukhine a exposé ses œuvres jusqu’au début des années 1990 à l’étranger (Londres, Hambourg…) et en Israël, entre autres à la galerie Giv’on de Tel Aviv. Se renforçant dans sa pratique du judaïsme et s’installant dans la ville orthodoxe israélienne par excellence, Bnei Brak, l’artiste nous laisse sans nouvelles jusqu’en 2006, où il expose à la Résidence des artistes à Herzliya. Ce soudain comeback témoigne de la maturité d’un artiste qui a su mettre à profit le temps passé pour développer une véritable grammaire personnelle, qu’IsraPresse se propose de vous faire découvrir.

IsraPresse : Comment avez-vous commencé dans la peinture ?

Mnoukhine : La peinture a toujours fait partie de mon histoire. Enfant, je m’amusais à reproduire des œuvres japonaises, comme celles d’Hiroshige. J’ai ensuite découvert Paul Klee, un peintre suisse. J’ai fait des études d’architecture, tout en continuant à peindre. Plus on peint et plus on devient dépendant. On fait ce à quoi on aspire, je dirais même ce qui nous vient à l’esprit. Mais ce n’est pas tout à fait exact, car j’ai toujours un leitmotiv, une certaine idée, une couleur ou un support que je veux constamment utiliser.

Crédit photo : Mnoukhine

I : Le choix de la matière fait partie intégrante de votre œuvre. Vos supports sont chargés de leur propre histoire. Comment les choisissez-vous ?

M : L’art pictural répond à un besoin de s’exprimer, de créer. Le support représente un point de départ, comme un déclic. Je peins surtout sur tissu et sur PVC. La découverte d’un tissu spécial provoque presque une frénésie. J’ai le sentiment de devoir faire quelque chose avec ce support. En revanche, il y a des tissus qui ne me parlent pas. Il me faut une affinité. J’ai aussi trouvé des bouts de plastique et j’ai commencé à y faire une tache. C’était extraordinaire, alors j’ai commencé à faire des séries sur du plastique.

I : Chez vous, l’acte de peindre est tout à la fois violent, maîtrisé, et sensible, sensuel et expressif. Le geste semble avoir une grande importance dans votre œuvre !

M : La technique que j’utilise est un langage pictural, une peinture gestuelle. Le mouvement de la main est très important, il suit un certain rythme sur le tissu. Le geste occupe l’espace de la toile, où je fais danser la tache de couleur qui sert de point de départ. Cela rejoint un peu la calligraphie ou des personnes qui pourraient presque danser.

Crédit photo : Mnoukhine

I : On croit en effet parfois distinguer des images cachées dans la toile, un vol d’oiseau ou le frôlement d’un corps… Mais la volonté de brouiller et de dissimuler est plus forte que ces apparitions concrètes. Quel sens véhicule cette peinture ?

M : Les tableaux expriment l’obsession d’une forme ou d’un rythme que j’aurai pendant une série. Je fais souvent deux formes l’une en face de l’autre. D’aucuns pensent que ce sont des danseurs. Ce sont peut-être des couples ou deux personnes dansant à des rythmes différents.

Il y a aussi une certaine poésie. Les couleurs qui se côtoient et se baladent ainsi sur un morceau de tissu me parlent. Certains appellent cela de la peinture spirituelle. On dit de Paul Klee, par exemple, qu’il a su donner une dimension spirituelle au monde de l’art. Cela se rapproche de la musique, qui est finalement un art abstrait.

I : Vos œuvres invitent à la contemplation intime : la sensibilité esthétique et la délicatesse renvoient à un univers d’émotions fugaces, expression d’une ‘respiration du réel’. D’où tenez-vous votre inspiration ?

M : Le titre d’un livre peut servir de point de départ. J’ai fait une série d’une vingtaine de dessins sur le titre d’un ouvrage d’Hemingway par exemple : « Au-delà du fleuve et sous les arbres ». Cela pourra aussi être une citation. Dans un livre de Carson McCullers, un personnage qui parle de la vie dit une phrase qui m’a intéressé : « Une pierre, un arbre, un nuage ». Il y a des phrases qui me font ainsi démarrer. Et là, je commence avec mes couleurs, qui ne vont pas avoir de rapport, si ce n’est que c’est ce qui me fait marcher. Le résultat c’est l’histoire de la peinture. Car tout cela, j’en suis imprégné. C’est un langage qui finalement appartient à certains peintres. Il y a des peintres avec lesquels je trouve beaucoup d’affinités sans faire la même peinture, par exemple l’Anglais Francis Bacon ou l’Espagnol Antoni Tàpies. Je m’intéresse à ce qu’ils font. Mais s’intéresser ne signifie pas copier, disons plutôt regarder, peut-être assimiler. J’ai un langage commun avec ces artistes ou avec quelques peintres américains, comme Robert Rauschenberg ou des Allemands, tel Gerhard Richter.

Crédit photo : MnoukhineI : Le fait d’être orthodoxe a-t-il eu une influence sur votre carrière ?

M : Effectivement. À mon arrivée en Israël, j’ai commencé à exposer dans l’une des plus grandes galeries du pays. Puis il y a eu une rupture. On m’a reproché d’avoir « changé de religion », comme si au lieu de peindre, j’avais choisi de faire des enfants. Les propos tenus par le peintre Yaïr Garbouz avant les élections représentent bien ce que pensent les gens de ce milieu en Israël. D’ailleurs, les galeries d’art sont les premières entreprises qui ont commencé à ouvrir le Chabbat, même si elles sont fermées le dimanche. Cela veut tout dire. Lorsque les gens me voient dans une galerie lors d’un vernissage, ils se demandent ce que je viens faire là, peut-être que je suis le patron ou que je me suis trompé d’endroit…

Propos recueillis par Yaël Ancri

Crédit photos : Mnoukhine