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30 octobre 2017 | י חשון התשעח
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Amir Gutfreund, officier, gentleman et écrivain

pour elleAvec le succès en librairie de son premier roman quasi-autobiographique, « Les gens indispensables ne meurent jamais » (Editions Gallimard, 2007) qui évoque la Shoah à travers les portraits de rescapés vivant en Israël par le regard d’un adolescent prénommé Amir, Amir Gutfreund est entré dans la cour littéraire par la grande porte. Sorti en 2008 en Israël, son roman « Pour elle, volent les héros » (Gallimard) vient tout juste d’être traduit en français. 

Né en 1963 à Haïfa, fils d’ouvriers survivants de la Shoah, ancien colonel de l’armée de l’air, celui dont le premier roman a été traduit en six langues est surtout un passionné d’écriture. Il se confie à IsraPresse.

 

Israpresse: Qui est Amir Gutfreund ?

Amir Gutfreund: Je suis Amir. Ecrivain. Fils de survivants de la Shoah et, finalement, quelqu’un qui a grandi presque uniquement entre des gens survivants de la Shoah. Mes parents sont arrivés en Israël avec rien, sans argent, et presque sans famille, et j’ai effectivement grandi dans la pauvreté. Je ne manquais de rien, et mon enfance a été très heureuse. Mais comme souvent, derrière le bonheur il y avait beaucoup de tristesse, de mystères, de secrets, l’inquiétude pour mes parents, le manque de compréhension de la vie etc. Je pense que de cette enfance-là, le bonheur emprisonné de tristesse et de mystère, est venu le désir initial d’écrire. Une fois, (j’espère que la plaisanterie passera bien en français) j’ai dit qu’avec mon histoire, à un moment donné je devrait être soit écrivain soit tueur en série. J’ai choisi d’écrire parce que je n’aime pas travailler avec les gens.

Israpresse: Vous avez écrit votre premier roman à l’âge de 42 ans, d’où vient ce besoin d’écrire ?

Amir Gutfreund: Bien que toute ma vie j’ai été un dévoreur de livres à l’extrême, je ne pensais pas du tout à écrire. Cela me semblait une perte de temps quand il y avait le football et les filles à decouvrir. A 17 ans, par certaines circonstances que je ne détaillerai pas, j’ai commencé à écrire par hasard. Depuis, c’est la principale chose dans ma vie. Pour des raisons que je ne comprends pas aujourd’hui, j’ai caché à tout le monde que j’écrivais. J’ai écrit 20 ans sans publier, pour moi-même, j’ai écrit trois romans et d’innombrables histoires. Après 20 ans, j’ai publié « Les gens indispensables ne meurent jamais » et depuis, je n’arrête pas.

Israpresse: Vos romans se déroulent souvent à Haïfa dans les années 70 où vous avez grandi, notamment « Pour elle, volent les héros ». Qu’est ce qui a changé en Israël en général et dans cette ville en particulier depuis 40 ans ?

Haïfa - illustration (wikipedia)

Haïfa - illustration (Wikipedia)

Amir Gutfreund:  Je raconte un quartier ouvrier dont l’histoire arrive à lui un peu indirectement, et est conscient des grands événements du pays principalement à travers les implications étroites sur la vie de ces gens fatigués. Non pas que les gens parmi lesquels j’ai grandi ne lisaient pas les journaux ou ne savaient pas qu’il y avait une guerre, n’exagérerons pas. Mais dans une routine faite de longues heures dans les usines et les difficultés quotidiennes, les implications plus larges des évènements n’étaient pas perçues dans notre quartier, on ressentait plutôt ce qui influait directement sur nos vies.

Le Haïfa des années 70 n’est plus. Tout a changé. Pourtant, même s’il est plus facile aujourd’hui de prendre conscience de ce qui se passe, et malgré le cynisme et la sophistication de la jeune génération, je crois qu’ à chaque génération, la magie de l’enfance et le charme de la jeunesse trouvent des moyens pour s’exprimer. Eux aussi ont leur monde dans leur tête qui est plus important que la réalité.

Israpresse: Le jeune héros du livre, Arik, se définit ni de gauche ni de droite, mais de Haïfa. Haïfa est encore l’exception du pays politiquement parlant?

Amir Gutfreund : Si l’on regarde les résultats des dernières élections, on voit que Haïfa est située entre Tel Aviv à tendance libérale-de gauche et de Jérusalem dont la tendance est au Likoud et à droite. Haïfa, comme toujours, ne mène pas une tendance et est coincée au milieu. Dans mon enfance et ma jeunesse, Haïfa était appelée « Haïfa la rouge » car il s’agissait d’une ville ouvrière tendant vers la gauche modérée. Cela n’existe plus. Mais il est juste de dire que Haïfa est encore une « expérience remarquable » de la coexistence entre Juifs et Arabes. Environ 15% des habitants sont des Arabes, et la vie est tout à fait harmonieuse. Il ne s’agit pas d’une poignée d’idéalistes qui tentent de conduire une coexistence, mais bien d’une coexistence quotidienne dont personne n’en fait toute une histoire dans une grande et complexe ville. Non pas qu’il n’y ait pas de problèmes, mais à Haïfa, s’il y a un conflit, c’est entre voisins et non entre ennemis. C’est une grande différence.

Lorsque l’on vous présente en France, on mentionne que vous êtes un ancien officier. Quel rôle a joué l’armée dans votre vie?

Amir Gutfreund : Commençons par les faits. A l’armée, je n’ai pas été un combattant courageux. Je suis chercheur en mathématiques-physique (je suis titulaire d’une maîtrise en mathématiques, c’est un autre domaine que j’aime vraiment, mais je suppose que je suis meilleur écrivain que mathématicien). Peut-être que pour la France, faire l’armée semble un choix bizarre, mais tous font l’armée en Israël. La chose extraordinaire est de choisir de faire une carrière militaire pendant 20 ans. J’avais un travail intéressant avec un excellent salaire. Quand j’ai fondé une famille et eu des enfants, j’étais forcé de choisir, et je me suis retiré de l’armée.

Je sais qu’être officier de Tsahal en France peut provoquer des problèmes. A un salon littéraire à Paris, des militants pro-palestiniens ont réparti des brochures avec mon nom m’accusant d’être le seul responsable de toutes les horreurs dans le monde. Je n’ai pas la force de lutter contre la machine de propagande bien huilée et financée pour les Palestiniens. Je suis fier de tout ce que j’ai fait dans l’armée, et je n’y serais pas resté un instant si je m’étais pas senti en conformité avec les valeurs humanitaires. Mon expérience en tant que fils de rescapés de la Shoah m’a appris à être en solidarité constante avec les faibles et m’a enseigné la nécessité de se défendre contre les agressions.

Propos recueillis par Nelly Ben Israël